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A mon retour à Paris, j'ai trouvé la division dans toutes les
Autorités, et l'accord établi sur cette seule vérité, que la
Constitution était à moitié détruite et ne pouvait sauver la liberté.
Tous les partis sont venus à moi, m'ont confié leurs desseins, dévoilé
leurs secrets, et m'ont demandé mon appui : j'ai refusé d'être
l'homme d'un parti.
Le Conseil des Anciens m'a appelé; j'ai répondu à son appel. Un plan
de restauration générale avait été concerté par des hommes en qui
la nation est accoutumée à voir des défenseurs de la liberté, de l'égalité,
de la propriété : ce plan demandait un examen calme, libre, exempt de
toute influence et de toute crainte. En conséquence, le Conseil des
Anciens a résolu la translation du Corps législatif à Saint-Cloud; il
m'a chargé de la disposition de la force nécessaire à son indépendance.
J'ai cru devoir à mes concitoyens, aux soldats périssant dans nos armées,
à la gloire nationale acquise au prix de leur sang, d'accepter le
commandement.
Les Conseils se rassemblent à Saint-Cloud; les troupes républicaines
garantissent la sûreté au dehors. Mais des assassins établissent la
terreur au dedans; plusieurs Députés du Conseil des Cinq-cents, armés
de stylets et d'armes à feu, font circuler tout autour d'eux des
menaces de mort.
Les plans qui devaient être développés, sont resserrés, la forte
majorité désorganisée, les Orateurs les plus intrépides déconcertés,
et l'inutilité de toute proposition sage évidente.
Je porte mon indignation et ma douleur au Conseils des Anciens; je lui
demande d'assurer l'exécution de ses généreux desseins; je lui représente
les maux de la Patrie qui les lui ont fait concevoir : il s'unit à moi
par de nouveaux témoignages de sa constante volonté.
Je me présente au Conseil des Cinq-cents; seul, sans armes, la tête découverte,
tel que les Anciens m'avaient reçu et applaudi; je venais rappeler à
la majorité ses volontés et l'assurer de son pouvoir.
Les stylets qui menaçaient les Députés, sont aussitôt levés sur
leur libérateur; vingt assassins se précipitent sur moi et cherchent
ma poitrine: les Grenadiers du Corps législatif, que j'avais laissés
à la porte de la salle, accourent, se mettent entre les assassins et
moi. L'un de ces braves Grenadiers (Thomé) est frappé d'un coup de
stylet dont ses habits sont percés. Ils m'enlèvent.
Au même moment, les cris de hors la loi se font entendre contre le défenseur
de la loi. C'était le cri farouche des assassins, contre la force
destinée à les réprimer.
Ils se pressent autour de président, la menace à la bouche, les armes
à la main; ils lui ordonnent de prononcer le hors la loi : l'on
m'avertit; je donne ordre de l'arracher à leur fureur, et six
Grenadiers du Corps législatifs s'en emparent. Aussitôt après, des
Grenadiers du Corps législatif entre au pas de charge dans la salle, et
la font évacuer.
Les factieux intimidés se dispersent et s'éloignent. La majorité,
soustraite à leurs coups, rentre librement et paisiblement dans la
salle de ses séances, entend les propositions qui devaient lui être
faites pour le salut public, délibère, et prépare la résolution
salutaire qui doit devenir la loi nouvelle et provisoire de la République.
Français, vous reconnaîtrez sans doute, à cette conduite, le zèle
d'un soldat de la liberté, d'un citoyen dévoué à la République. Les
idées conservatrices, tutélaires, libérales, sont rentrées dans
leurs droits par la dispersion des factieux qui opprimaient les
Conseils, et qui, pour être devenus les plus odieux des hommes, n'ont
pas cessé d'être les plus méprisables.
Signé
BONAPARTE
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