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LES NAPOLEON ET LE PARTI BONAPARTISTE DANS LA TOURMENTE DE L’AFFAIRE DREYFUS !

Christophe GUAY

 

L’Affaire Dreyfus fait partie de ces grandes questions nationales qui déchaînent les passions de la société française et qui obligent chaque citoyen à agir en son âme et conscience (les consignes des partis politiques ne parvenant pas à s’imposer à l’opinion publique). Ainsi, contrairement à ce que déclarait Lionel Jospin, 1er ministre, devant l’Assemblée Nationale, au mois de janvier dernier, il n’y a pas une droite antidreyfusarde et une gauche dreyfusarde. Les grandes questions nationales (Affaire Dreyfus, loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, Référendum Maastricht de 1992, etc) ont l’intérêt de faire apparaître les plus éclatantes contradictions au sein de chaque grande famille politique. Ce phénomène a également concerné la Famille Impériale et les dirigeants du parti bonapartiste…

 La Famille Impériale

L’Impératrice Eugénie

Notre dernière souveraine, est réputée pour ses idées contre l’antisémitisme. Ainsi, l’Impératrice Eugénie avait interdit à Edouard Drumont d’utiliser son nom pour la réalisation d’une campagne antisémite au sein du journal La Libre Parole .

Lucien Daudet souligne dans son ouvrage « L’inconnue (L’Impératrice Eugénie) » que       << tous les partis pris, elle les abhorre, et les haines systématiques de race ou de religion ne trouvent jamais grâce devant elle. Catholiques, protestants et israélites sont, aux yeux de l’Impératrice, égaux devant l’humanité, accessibles les uns et les autres au bien comme au mal : elle ne fait aucune différence entre eux. >> (1)

Les Princes Napoléon

Le Prince Victor-Napoléon, chef de la Famille Impériale, prend nettement position en condamnant publiquement les collusions entre certaines de ses composantes politiques et les ligues antisémites, par souci d’unité nationale. (2)

Une attitude confirmée par Léon Blum dans « Souvenirs sur l’Affaire » montrant les contradictions existantes au sein de la mouvance bonapartiste : << La situation des royalistes et des bonapartistes était curieuse, en ce sens qu’ils étaient en masse et violemment antidreyfusards, alors que leurs chefs naturels, les princes, les prétendants, les membres des familles royale et impériale ne doutaient pas de l’innocence de Dreyfus. L’Impératrice Eugénie, par exemple, était dreyfusarde convaincue et résolue. (…) Le dreyfusisme de l’Impératrice nous était garanti dès alors par Joseph Primoli, et aujourd’hui le fait est notoire. (…) Il ne faut pas s’étonner que le dreyfusisme eût ainsi gagné des partisans et des garants parmi les membres des anciennes familles régnantes. Rien n’était au contraire plus naturel. Toutes les cours d’Europe étaient dreyfusardes. Les informations venues de Berlin ou de Rome avaient circulé dans toutes les familles souveraines, unies par leur code particulier d’usages, mêlées d’ailleurs les unes aux autres par de multiples parentés. Ce milieu était celui des Orléans et des Bonaparte, surtout de ceux qui vivaient en exil ; ils avaient été entourés et gagnés par l’opinion commune. Cette opinion des cours européennes allait bientôt devenir l’opinion de l’Europe. >>

Une position dreyfusarde des Princes qui sera perpétuée par le Prince Louis-Napoléon (décédé le 3 mai 1997). Comme l’indique Thierry Choffat dans son article « Le Prince Napoléon (1914-1997) et la vie politique française » (C.E.R.B. N° 5), << Le Prince Napoléon, toujours fidèle à ses engagements démocrates et se comportant dignement en héritier des idéaux de la Révolution Française, appartenait au Comité d’honneur de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) >>.

La Princesse Mathilde

La Princesse Mathilde-Napoléon était la seule membre de la Famille Impériale à soutenir la cause antidreyfusarde sur le motif que son oncle (Napoléon 1er) était militaire ! Son argumentation ne repose pas sur des principes antisémites ou religieux, mais sur le principe que la hiérarchie militaire doit être à l’abri des poursuites de la justice civile. (3

Le parti bonapartiste

L’attitude du parti bonapartiste dans le cadre de l’affaire Dreyfus constitue la page la moins glorieuse de l’histoire du courant bonapartiste depuis sa création officielle en 1799 : un torrent de haine contre les religions juive et protestante ! Examinons l’attitude de certains responsables bonapartistes de cette fin du XIXème siècle :

- Le candidat bonapartiste et nationaliste Ernest Flandin est élu en 1902 dans la circonscription de Pont-L’Evêque avec 75,7 % des suffrages exprimés. << Pendant la compagne électorale, ce dernier avait déclaré qu’il voulait arracher la République « à la domination des juifs et des sectaires » >>. (4)

- La nomination d’Isaïe Levaillant, de confession juive, comme directeur de la Sûreté Générale est le point de départ de l’idée de complot judéo-maçonnique au sein de la police. Ainsi, celui-ci est accusé par les bonapartistes, de l’invalidation du baron de Bourgoing, député bonapartiste dans la circonscription de Nevers, pour avoir fait titré « La conspiration bonapartiste » dans son journal, La République de Nevers, le 9 juin 1874.

Le baron de Bourgoing obtiendra néanmoins la condamnation d’Isaïe Levaillant pour << production d’un document apocryphe attentant à son   honneur. >> (5)

Le Petit Caporal (journal bonapartiste), dans son numéro du 31 janvier 1888, se fera remarquer par ses qualificatifs envers Isaïe Levaillant : << faussaire, assassin, crocheteur de tiroirs et menteur (…) sale juif >>.

- Malgré l’influence politique du comte Jean-Baptiste de Colbert-Laplace (député bonapartiste de Lisieux de 1876 à 1895 après avoir battu Paul-Louis Target), représentée par son journal le Réveil du Calvados, celui-ci a pourtant bien du mal à trouver un successeur qui ne tombe pas dans la tendance nationaliste et antisémite (le comte de Laborde qui réalise sa campagne électorale à travers des circulaires antisémites et antimaçonniques). (6)

- La question Dreyfusarde permet aux bonapartistes  de s’exprimer d’une manière passionnée au sein de la Chambre des Députés !

Joseph Lasies, député bonapartiste, y accable Francis de Pressensé, dreyfusard, qui rend hommage aux dreyfusards disparus, et oblige le président de la Chambre à prononcer une suspension de séance. Une polémique qui se poursuit par un échange de coups entre le député bonapartiste de la Seine, Pugliési-Conti, et le sous-secrétaire d’Etat à la Guerre, Albert Sarraut…

Le même Joseph Lasies << allant jusqu’à écrire à la fin d’un de ses articles, à l’usage de ses compagnons d’armes : « Vive la révolte ! Vive la Révolution ! » >>. Un article au sein de La Libre Parole (6 juin 1899), célèbre quotidien dirigé par Edouard Drumont, l’un des chefs de la cause antisémite. (7)

- L’action de certains responsables bonapartistes s’étend également à la religion protestante !

<< Divers milieux nationalistes (monarchistes, bonapartistes, catholiques ralliés, libres-penseurs ex-boulangistes, républicains représentant le lobby colonial) accusèrent le protestantisme de contenir certains principes antinationaux et séditieux >>. (8)

Le pasteur luthérien A. Weber dénonce l’attitude de Georges Thiébaud, directeur du journal L’Eclair, qui, dans son numéro du 21 janvier 1898, considère une affaire politique dans laquelle sont impliqués des protestants comme un << pacte judéo-protestant. >> A. Weber soutient qu’inciter à crier « Mort aux juifs » dans les réunions politiques de Georges Thiébaud << constitue un symptôme grave >>. (9)

<< Le 21 mai 1895, Georges Thiébaud synthétisait les divers thèmes antiprotestant dans une conférence organisée à Paris par le « groupe des étudiants antisémites » >>. Des idées rassemblées dans son livre « Le Parti protestant ». (10)

Rappelons que Georges Thiébaud avait été l’un des principaux représentants de la cause bonapartiste auprès du général Boulanger ; ce négociateur bonapartiste avait organisé une rencontre entre ce général et le Prince Napoléon-Jérôme au château de Prangins, en Suisse.

- Ce « mélange » de bonapartisme et d’antisémitisme, n’empêche pas les plus extraordinaires contradictions : Ainsi, Paul-Adolphe de Cassagnac, chef du parti bonapartiste, célèbre et fougueux polémiste (11), ardent organisateur de campagnes antisémites révoltant l’Abbé Naudet qui  constate amèrement, dans un numéro de La Semaine Religieuse de Cambrai, que << MM. Drumont et Cassagnac, qui n’ont ni la foi de Louis Veuillot, ni son désintéressement, ni sa valeur, et qui s’exercent à régenter nos bons et braves curés de campagne, ont fait un mal énorme et mis nombre de cerveaux à l’envers dans cette partie si estimable de notre clergé. >>

Malgré ces attaques contre la religion juive, et à la surprise générale, Paul-Adolphe de Cassagnac soutient  la  cause  dreyfusarde : << On  a   même  vu dans certains cas individuels des antisémites notoires, tel le directeur du journal bonapartiste L’Autorité, Paul de Cassagnac, se prononcer en faveur de la révision dès novembre 1897. >> (12

Haines religieuses ou

argumentation électoraliste ?

Quelle est la véritable cause de ces attaques religieuses contre les juifs et les protestants ?

Dans cette fin de XIXème siècle où les bonapartistes perdent leurs bastions électoraux les uns après les autres, et où la politique xénophobe rencontre un certain écho dans certaines couches de la population, la tentation des dirigeants nationaux bonapartistes est grande, d’utiliser cette argumentation de haines religieuses afin de récupérer une masse d’électeurs.

Nancy Fitch, dans sa thèse sur l’antisémitisme, constate ainsi que dans le Gers, terre des Cassagnac, le << bonapartisme en perte d’influence puise dans l’antisémitisme une force nouvelle >> (13).

C’est ce qui explique également que les avertissements et condamnations du Prince Victor-Napoléon contre cette politique outrageante restent sans effets envers certaines structures bonapartistes : les Jeunesses Plébiscitaires Bonapartistes – et surtout les Etudiants Bonapartistes – s’allient ainsi avec les ligues antisémites, et même l’Action Française, pour certaines actions militantes musclées, dans la région parisienne, en 1898 et 1899, ce qui fait la joie des caricaturistes républicains. (14) 

Conclusion

Les positions divergentes entres les Princes Napoléon et leurs partisans à l’occasion de l’Affaire Dreyfus ne sont que la confirmation d’un phénomène débutant dans les années 1874 – 1875, au cours desquelles le Prince Impérial regrette déjà la stratégie agressive du parti bonapartiste, et qui se poursuit au début du XXème siècle (l’interdiction des prétendants sur le sol français permettant certainement une plus grande liberté de manœuvre des dirigeants bonapartistes)  avant de se terminer par la dissolution des mouvements bonapartistes par le Prince Napoléon en 1940 (15) (le Prince se souvenant notamment, que le 1er Empire avait été le premier régime politique en Europe à donner un statut officiel à la religion juive).                                

 

(1) Le C.E.R.B défend les mémoires de l’Empereur Napoléon III et du Prince Impérial, mais également celle de l’Impératrice Eugénie. Une souveraine injustement calomniée, souvent par le parti bonapartiste lui-même. Une tradition malheureusement reprise par le Prince Charles Napoléon qui critique dans le Figaro du 2 décembre 1997 << la tradition monarchique >> de l’Impératrice Eugénie.

(2) Une position comparable à l’intervention télévisée du Président Chirac le 23 mars 1998, condamnant les collusions entre le droite parlementaire et l’extrême-droite à l’occasion de l’élection des présidents des Conseils Régionaux.

(3) « La Princesse Mathilde » de Jean des Cars.

(4) Jean Quellien : « Les élections législatives dans le Calvados pendant la Troisième République ».

(5) Jean-Marc Berlière : « La généalogie d’une double tradition policière » dans « La France de l’Affaire Dreyfus » sous la direction de Pierre Birbaum.

(6) Jocelyne George : « Provinciales : la France des quatre coins » dans « La France de l’Affaire Dreyfus » sous la direction de Pierre Birnbaum.

(7) Jean El Gammal : « Un territoire de mots : rhétorique et politique » dans « La France de l’Affaire Dreyfus » sous la direction de Pierre Birbaum.

(8) Jean Baubérot : « L’antiprotestantisme politique à la fin du XIXème siècle »

(9) André Ancrevé : « La petite musique huguenote » dans « La France de l’affaire Dreyfus » sous la direction de Pierre Birbaum.

(10) Jean Baubérot : « L’antiprotestantisme politique à la fin du XIXème siècle ».

(11) Voir dossier de Thierry Choffat (CERB numéros 6 et 7).

(12) Michel Winock : « Une question de principe » dans « La France de l’Affaire Dreyfus » sous la direction de Pierre Birnbaum.

(13) Nancy Fitch : « Mass culture, mass parliamentary politics and modern antisemitism : The Dreyfus Affair in Rural France » (février 1992).

(14) « Histoire de l’extrême-droite en France » sous la direction de Michel Winock, Editions du Seuil, 1993.

(15) décédé le 3 mai 1997, et qui désigne par testament, le Prince Jean-Christophe Napoléon, comme nouveau chef de la Famille Impériale.